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2007-Lire la tragédie antique aujourd'hui, HELIE, rubrique "Lire aujourd'hui"

Inépuisable modernité de la tragédie antique.
Oedipes, Ulysses et Agamemnons, Médées, Electres et Antigones : que nous disent-ils encore aujourd'hui ces personnages de la tragédie grecque, qui, avec leurs nombreux frères et soeurs, Ajax, Orestes et Prométhées, Cassandres, Phèdres et Iphigénies, traversent l'épaisseur du temps, de la culture et de l'histoire pour se dresser, plus que jamais vivants, sur le socle de notre présent, dans la permanence d'une identité reconnaissable à travers les variantes du riche répertoire du mythe ?
Histoire sacrée d'un monde sur lequel le nôtre s'est bâti, le mythe grec n'a certes pas l'exclusivité de la permanence de ses personnages mythiques et partage de nombreux liens de parenté avec les légendes et traditions narratives d'autres cultures et d'autres peuples, car sous toutes les latitudes la mémoire et la transmission de cet « avant » d'où nous sommes issus font surgir notre irréductible appartenance au Temps plus encore qu'à l'Espace.
Contre toute idéologie convenue, rien n'est plus moderne que le passé. Jusque dans l'affirmation de sa modernité, le présent ne peut être armé que des outils que l'histoire elle-même lui offre. Rien n'apparaît alors plus enraciné que les ruptures, rien ne semble avoir plus besoin de s'asseoir sur des légitimations anciennes que les révolutions.

Quelle force nourrit donc les interrogations que le mythe a soufflées à la tragédie antique et qui parlent à notre modernité d'une voix toujours audible ?
« Pourquoi le mal occupe-t-il une aussi grande place dans le monde ? »
« Pourquoi souffrir est-il le lot de tout homme, même de celui qui suit le bien ? »

Aucun mortel ne passera toute une vie
à l'abri du malheur sans en payer sa part.
Hélas, hélas,
tout de suite ou plus tard, la peine frappera (1).

O condition mortelle ! Le bonheur
est comme une ombre et quand vient le malheur,
un coup d'éponge humide efface le tableau (2).

La vie humaine, ce n'est pas aujourd'hui que je la tiens pour une ombre.
Parmi les hommes, aucun n'est heureux ; le flot de la prospérité peut donner à l'un plus de réussite qu'à l'autre, mais le bonheur, non ! (3)

« Comment concilier l'idée d?une divinité toute puissante, bonne et juste, avec le mal et la souffrance dans le monde ? »
« Pourquoi la passion est-elle plus forte que la raison ? »
« Pourquoi connaissons-nous le bien et suivons-nous le mal ? »

Le tragique du mythe, l'essence même de la tragédie sont probablement dans cette investigation du mystère de la souffrance humaine -investigation qui ne débouche sur aucune réponse définitive, mais se referme plutôt sur l'interrogation elle-même.
Les personnages mythiques de la tragédie antique nous rappellent inlassablement la nécessité pour tout homme de reconnaître les limites de l'humain (les dieux punissent l'ΰβρις, la démesure, qui fait oublier à l'homme sa condition humaine), ces fils invisibles destinés à modérer notre action et sur lesquels nos passions butent invariablement. Car personne ne peut jurer qu'un jour ces limites ne seront pas rompues par la violence d'une passion qui nous fera basculer dans un tragique passage à l'acte.
Le tragique est dans la transmission de la faute d'une génération à l'autre :

Mais s'il doit à présent
expier le sang des pères
et mourant pour les morts recevoir
d'autres morts en rançon? (4)

Il est dans le conflit entre la liberté et le destin, dans le mystère qui entoure les agissements humains :

Mes actes, je les ai subis et non commis.
C'est sans rien savoir que j'en suis venu où j'en suis venu . (5)

Il est dans le πάϑει μάϑος d'Eschyle (la science s'acquiert par la souffrance, savoir est souffrir) :

Et la justice, vers ceux qui souffrent, fait pencher le savoir . (6)

Le tragique est dans l'opposition entre les lois de la cité et les lois qui relèvent d'une éthique non écrite mais propre à l'humain lui-même, ou, suivant Hegel, entre le droit de l'Etat (Créon) et celui de la famille (Antigone) :

Jamais je n'ai pensé que tes ordres pouvaient forcer un mortel à passer outre
les limites sacrées des lois non écrites et immuables . (7)

Le tragique est dans le conflit entre la passion et la raison (Médée, Phèdre), dans l'amour de Médée envers ses enfants qu'elle tuera. Médée trahie et humiliée choisit la vengeance comme l'acte impérissable qui, la soustrayant à la douleur, l'inscrira dans le mythe et donc dans la mémoire. Jason est impie car il a rompu son serment ; si la promesse est bafouée, la justice l'est aussi:

Le cours des fleuves sacrés remonte à sa source; la justice, tout est renversé. (8)

Le tragique est dans cette mère qui ne commet pas l'acte le plus inconcevable entre tous sous l'emprise de la folie mais en étant douloureusement consciente de ce qu'elle va accomplir (9). L'image de la mère ancrée au plus profond de nous s'en trouve profondément secouée.
Le personnage de Médée n'en finit plus de resurgir dans l'art, le théâtre, la littérature (10), car Médée est une réflexion sur l'être féminin, sur le maternel, sur la relation à l'homme :

Je préférerais lutter trois fois sous le bouclier plutôt que d'accoucher une seule ! (11)

Je les ai mis au monde ; et quand tu te flattais de les voir vivre, je me suis demandé avec douleur s'il en serait ainsi. (12)

Comme Antigone, Médée, femme qui pense, interroge les lois non écrites, celles qui commandent aussi les lois de la cité :

Non, il n'y a pas de courage, point de hardiesse à regarder en face des êtres chers envers lesquels on a mal agi : c'est le pire des vices dont soient capables les hommes, c'est de l'impudence . (13)

Comme Cassandre, Médée, femme d'intellect, a conscience du sort que son savoir lui réserve:

Si l'on vous juge supérieur aux hommes considérés comme détenteurs d'un savoir immense, vous paraîtrez indésirable à votre cité. Tel est mon propre sort. Ma science me rend odieuse pour les uns, inquiétante pour les autres. (14)

Plutôt que réécrire nous-mêmes les mythes, ce sont les mythes qui nous réécrivent, donnant à nos interrogations de modernes cette résonance du Temps qui nous inscrit dans l'humanité.

(1) Eschyle, Les Choéphores (Coryphée, vv. 1017-1020)
(2) Eschyle, Agamemnon (Cassandre, vv. 1327-1329)
(3) Euripide, Médée (Messager, cinquième épisode)
(4) Eschyle, Agamemnon (Coryphée, vv. 1337-1340)
(5) Sophocle, Oedipe à Colone (Oedipe)
(6) Eschyle, Agamemnon, (Ch?ur, v. 250)
(7) Sophocle, Antigone (Antigone à Créon)
(8) Euripide, Médée (Choeur, premier épisode)
(9) Euripide le premier a fait de l'infanticide de Médée un acte délibéré.
(10) Duarte Mimoso-Ruiz (Médée antique et moderne. Aspects rituels et sociopolitiques d'un mythe, Paris, Ophrys, 1982) fait état d'environ 300 Médées entre 1210 et 1903.
Alain Moreau (Le Mythe de Jason et Médée, Paris, Les Belles Lettres, 1994) a recensé près de 150 oeuvres qui traitent du mythe de Médée, depuis les poèmes homériques (VIIIe av. J. ?C.) jusqu'à Draconius (Ve après J.- C.)
(11) Euripide, Médée (monologue de Médée, premier épisode)
(12) Idem (Médée, quatrième épisode)
(13) Idem (monologue de Médée, deuxième épisode)
(14) Idem (Médée, premier épisode)


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ÉTUDES CRITIQUES

CONSTANTIN GUYS O LA MEMORIA DEL PRESENTE, in Gilda Piersanti (dir.), "Constantin Guys, pittore della vita moderna", Rome, Savelli, 1980

CHARLES MERYON. PARIGI FANTASTICA E ROMANTICA, Rome, Artemide edizioni, 1987
M�ryon

GUYS OF DE HERINNERING AAN HET HEDEN, in
"Constantin Guys of de Herinnering aan het heden", (catalogue de l'exposition "Constantin Guys", Flessingue, Stedelijk Museum, 1990